Le Tito

La tribu des Tito, mi-gaumaise, mi-française, avait un des leurs, le Pol, frère de la Louisa, retenu lors de la guerre de 1914 prisonnier des Allemands à la forteresse de Longwyon, en France.  Sa famille trouvant le temps long sans lui, la prière quotidienne que l'on récitait chaque soir avant d'aller se coucher se terminait invariablement par ces mots, adressés au Seigneur :
Et ramenez le Pol disaient les parents.  De Longwyon, enchaînaient les enfants.
Vint la fin de la guerre et la libération de notre Pol lequel s'en revint aux Bulles.  Mais au bout de quelques mois, l'harmonie ne régnait plus guère dans la tribu et le Pol était devenu plus qu'indésirable.  Aussi, la prière du soir fut quelque peu modifiée.  L'invocation au Seigneur se terminait ainsi :
Raconduisez le Pol, imploraient les parents.   À Longwyon, précisaient les enfants.
L'histoire ne dit pas où le Pol termina finalement ses jours.

Autre exemple de la tendance à l'exagération qui caractérise les Bûlots.  Le père Tito se plaignait de ce que ses enfants ne fermaient jamais derrière eux la porte du "pêle"1, refroidissant continuellement la pièce.
Si dju n'avom dè du toute ma vie à mè afans : froum tun'huche, djaro vikè cinquant' ans d'peu.2

Le père Narcisse avait réuni dans un plat des pommes moisies qu'il avait posées sur la cuisinière afin de les tenir chaudes.  Ces pommes pourries ressemblaient à des pommes cuites.  Le Léon Tito, son voisin, en visite chez lui, lui demande :
An pu les médji, tes peum', eh, père Narcisse ?3
Bin sûr., lui répond imperturbablement ce dernier.
Et le Tito a mangé tout le plat confirmant par là que le soi-disant "bon vieux temps" n'était pas toujours très rose, que la vie n'était pas toujours facile et que, de ce fait, l'on n'était pas toujours très regardant sur la qualité de la nourriture.
Il faut dire aussi que les Tito étaient de bien pauvres gens et qu'ils se contentaient de peu.  Ne disait-on pas qu'ils buvaient à même la goulette de l'évier, trou d'évacuation de l'évier qui débouchait à l'extérieur; ils pouvaient y trouver dans cette eau autant à boire qu'à manger.

1. Salle commune faisant office de cuisine, de salle à manger, de salon et où se trouvait le poêle au bois, chauffant toute la pièce.
2. Si je n'avais pas dit à mes enfants durant toute ma vie : ferme ta porte, j'aurais vécu cinquante ans de plus.
3. On peut les manger, tes pommes, eh, père Narcisse ?

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