Le Joujou

Alphonse Martin, dit le Joujou, déclarait dans son parler haché et hésitant :
Aro seu aro eu guerre, n'arom eû gros gamin.1

Il habitait près du presbytère et n'étant pas en meilleurs termes avec les gens d'Église, il montait sur un arbre dont les branches surplombaient le mur du presbytère et chantait :
A bas Malou pour fâr aradji l'queuré Martin.2
Monsieur Malou était un ministre catholique.

Le Blanc Narcisse, le Joseph Cadet et notre père étaient occupés à cimenter la maison de l'Alphonse Farinelle, proche de celle du Joujou.  A midi, lors de la pause, ils aimaient aller lutiner la fille du père Joujou, la belle n'étant pas des plus farouches.  Le père Joujou le leur reproche et émet cette accusation :
Vètez en train du dèchèré gamine.3

Le père Joujou exerçait la fonction, ô combien peu lucrative, de coiffeur pour hommes.  Un soir, il était occupé à couper les cheveux d'un jeune homme, grand échalas, au parler spécialement lent et appuyé, le Marcel Ricaille.  Le père Joujou aurait aimé que le Marcel aille voir sa fille, bonne à marier et lui suggère ouvertement de s'occuper d'elle.  Et le Marcel de lui répondre de sa façon inimitable :
Amoun' la aux Jarelles avu eun' cord'.4
Les Jarelles sont un lieu-dit dans la forêt, assez retiré et loin des regards indiscrets.

1. Si j'avais su qu'il y aurait eu la guerre, je n'aurais pas eu un gros gamin.
2. À bas Malou, pour faire enrager le curé Martin.
3. Vous êtes en train d'abîmer la gamine.
4. Amène-la aux Jarelles avec une corde.

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