Georges Vigon

Georges Vigon, français de Toul, auquel nous liait un quelconque lien de parenté, était venu travailler juste après la fin de la guerre de 1945, à Les Bulles, dans la petite entreprise forestière que notre père avait créée.
C'était une entreprise de débardage de bois de mines dans les côtes de Vierre.  Papa avait adopté pour cette coupe de bois, très difficile dans ces pentes raides et abruptes, la méthode consistant à laisser les troncs coupés descendre jusqu'à la rivière.  Celle-ci se chargeait de les véhiculer à un endroit accessible aux chevaux de trait qui les récupéraient et les amenaient au camion attendant en haut de la pente.  En somme, c'était là du flottage de bois, à la façon canadienne.
Georges Vigon, arrivé pour la première fois sur le chantier et très impressionné par la hauteur de ces coteaux de Vierre, s'exclame, avec son accent français pointu :
Oh ! C'te pente !
Le surnom d'Oh ! C'te pente !  lui a tout aussitôt été attribué.

Un après-midi d'été, survient un violent orage.  Tous les bûcherons courent se mettre à l'abri sous les plus gros arbres qu'ils trouvent, mais la violence de la pluie est telle qu'ils sont tous complètement trempés sous leurs abris précaires.  L'orage terminé, ils voient arriver Oh ! C'te pente !, nu comme un ver, portant ses vêtements sous le bras.  Quand les mannes célestes se sont ouvertes, il s'est complètement déshabillé, a mis ses vêtements bien au sec, sous une grosse pierre et, tel Gribouille, s'est tranquillement installé dans le lit de la Vierre en attendant la fin de l'orage.  De tous les bûcherons présents, il est bien le seul à être sec.  Inutile de dire que cette astuce originale en a bouché un coin à ses compagnons gaumais.

Lors du premier casse-croûte de 10 heures, un jour qu'il avait spécialement faim, Georges contemple son unique tartine avec laquelle il doit tenir le coup toute la journée et dit, après quelques instants d'hésitation :
Et puis, merde, j' bouffe tout.
Et il avale en un seul repas tout le viatique de la journée.  Précisons d'ailleurs que notre père est intervenu auprès de sa logeuse, notre cousine l'Yvonne, surnommée le Rouge-gorge, pour lui demander d'améliorer l'ordinaire de son ouvrier français.

© 1999-2010 - Rémy et Jean-Claude GILLET - Tous droits réservés