Lu Djoqumin

Nos parents, jeunes mariés, habitaient en location chez l'Djoqumin, homme vivant seul et pas spécialement propre.  A cette époque, notre père vendait des farines et aliments pour bétail, des farines grûch et avait un dépôt dans le bas du village, près du quai d'arrêt du tram.  Aussi, nos parents étaient souvent absents de la maison.  Quand le téléphone sonnait, le Djoqumin répondait donc à la place de notre père.
Ici, c'est le propriétaire du locataire Cyrille Gillet.

Un jour que nos parents étaient au dépôt de marchandises, Maurice le premier né de la famille, encore bébé, était seul à la maison sous la garde du Djoqumin.  Ledit Djoqumin décide alors subitement de ramoner la cheminée et, sans prendre aucune précaution d'usage en ce qui concerne la plus élémentaire des règles d'hygiène et de propreté, en dépit du bébé qui s'ébattait dans son parc.  Ainsi, il ne ferme même pas la tabatière.  Dès lors, une suie noire et abondante envahit la pièce ainsi que ses occupants.  Imaginez la tête de notre mère à son retour, contemplant le spectacle : son fils aussi noir qu'un charbonnier, couvert de suie des pieds à la tête !

Le premier jour du mois, notre père monte à l'étage, chez son propriétaire pour lui payer sa location.  Comme de coutume, Joseph Djoqumin veut lui offrir un verre.  Il sort de l'armoire une bouteille de sa fabrication dans laquelle macèrent des groseilles.
Papa très méfiant quant à la qualité de cette fabrication maison et connaissant la saleté du maître de céans, lui dit qu'il n'aime pas les groseilles, croyant ainsi échapper à la corvée dégustative.
Qu'à cela ne tienne !  Lu Djoqumin lui verse un verre en faisant couler l'alcool entre ses doigts crasseux fixés au goulot de la bouteille pour y retenir les groseilles.
Politesse oblige ! Papa a bu son verre d'un trait en se disant que, de toutes façons, l'alcool allait tuer tous les microbes.

Quand l'Djoqumin vidait son cabinet - les égouts et autres fosses d'aisance étant alors inconnus aux Bulles à cette époque - et afin que rien ne se perde, il récoltait le liquide nauséabond à l'aide d'une petite boîte de conserve et il en arrosait ses poireaux.  Il n'a jamais compris pourquoi Maman s'est toujours refusée à lui acheter la moindre botte de poireaux !

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