Le Père Lenoir

Autre personnage typique de Les Bulles, le père Lenoir, parisien d'origine, concierge dans une maison de maître, et qui était venu finir ses vieux jours en Gaume, dans une coquette maison située le long de la route qui mène à la forêt toute proche, forêt riche en myrtilles.  Un jour de juillet, voyant passer les enfants munis de seaux et autres récipients pour se rendre à la cueillette des myrtilles, il décide lui aussi d'aller cueillir ces fruits délicieux.  Peut-être, avait-il lu Verlaine, cet Ardennais de France, qui écrivait :
Au pays de mon père, il est des bois sans nombre.
Là des loups font parfois luire leurs yeux dans l'ombre.
Et la myrtille est bleue au pied des chênes verts
.

Arrivé dans la forêt, près du lieu-dit Bon Dieu de Jacob, le Père Lenoir, homme de la ville, planté sur ses deux jambes, lève le regard vers la cime des arbres et demande :
Mais, où sont-elles ces myrtilles ?

Ce Parisien avait, comme beaucoup de Bûlots, une chèvre qu'il nourrissait pour son lait et l'excellente viande de ses biquains.
Comme l'a si bien décrit Fernand Bonneau au sujet de la gaye du queuré d' Villeye1, les chèvres ont besoin qu'on les mène à bouc.  Celle du Père Lenoir n'échappe pas à la règle.  Si bien que notre homme la conduit à Termes, chez le Delor, lequel tient le bouc pour le canton.
Arrivé devant la ferme, le Père Lenoir, ne voyant personne à qui s'adresser, lance :
Où est-il le patron du boxon ?
Évidemment, il s'agissait d'un boxon bien particulier, sans doute très différent de ceux qu'il avait connus à Paris.

Des histoires de gaye, il en existe beaucoup dans nos villages.  Celle de la Mariette Giltaire vaut de l'or - c'est le cas de le dire.  Son père, l'Arsène l'envoie donc conduire la gaye à bouc, toujours chez le Delor, à Termes.  Mais la brave bête, sans doute pas assez amoureuse ou ne trouvant pas le bouc assez à son goût, comme la gaye du queuré d'Villeye de Fernand Bonneau, refuse l'honnête proposition.  On eut beau insister, peine perdue, notre chèvre se refuse à toute espèce de marivaudage.  De guerre lasse, Mariette s'en retourne aux Bulles, traînant sa gaye récalcitrante.
L'Arsène lui demande comment s'est déroulée l'opération.  Réponse dépitée de la jeune fille : Hum ! Dji va co d'pu qu'li.2

Cette histoire, si elle n'est pas authentiquement bûlotte, s'adapte parfaitement bien à nos anciens.  Toujours au sujet des gayes, quelqu'un déclarait :
Si les gayes avin été in pô pu belles, dju n' marom' marié !3

1. La chèvre du curé de Villers.
2. Hum ! J'y vais encore plus qu'elle.
3. Si les chèvres avaient été un peu plus belles, je ne me serais pas marié.

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