Le P'tit Gillet

Le P'tit Gillet, sur ses vieux jours, "déraillait" quelque peu.
Un dimanche après la messe, notre père accompagné de Louis Mahillon qui étaient tous deux de sa parentèle vont lui rendent visite et le trouvent alité.  Après quelques moments de conversation à bâtons rompus, le P'tit Gillet éprouve un besoin bien naturel et se lève de son lit.  Son accoutrement fait s'esclaffer les deux visiteurs, car il est vêtu uniquement d'une chemise dont le pan avant a été découpé pour dégager son ventre assez proéminent et laissait découvrir ainsi la partie de son anatomie que la décence habituellement n'autorise pas à exposer, tandis que le pan arrière lui couvre totalement les fesses.
Tranquillement, il saisit le pot de chambre se trouvant dans la table de nuit, lequel pot est déjà plein à ras bord et qui, plus est, ne possédant plus d'anse, l'oblige pour le tenir à y tremper son pouce.  Ensuite, il urine dans ce réceptacle qui évidemment déborde au fur et à mesure et inonde le parquet.  Cette délicate opération terminée, le P'tit Gillet se tourne  vers les deux compères et tout en leur tendant le pot de chambre leur demande :
Av' lez' ve ?1
Louis Mahillon, à mi-voix, dit à Papa :
Foutan l' camp, t' ta l'heur', i va nous fout' lu pot d' tchamp à la geuye.2
Et les deux visiteurs de détaler sans demander leur reste.

Ce P'tit Gillet avait été marié avec une fille Thomasset de Valansart, jeune fille assez riche et dont la famille possédait d'ailleurs une quincaillerie à Paris.  Aussi, il n'a pas été obligé de beaucoup travailler dans son existence, ce qui au demeurant, l'arrangeait beaucoup.  C'est pourquoi on disait de lui, avec peut-être un peu d'envie :
I nè jamais vikè qu'u d'héritances.3

Pendant la guerre de 14-18, les Allemands avaient pris les habitants de Les Bulles en otages et menaçaient de fusiller les hommes, ceux-ci étant alignés sur la place de l'église, face à un peloton d'exécution prêt à tirer.  Deux Bûlots qui avaient l'habitude de se chamailler constamment se trouvaient côte à côte parmi ces otages, le P'tit Gillet et l'Alphonse du Vieux.  Alors que la situation était des plus tragique et que leur dernière heure était peut-être arrivée, les deux gaumais trouvaient encore matière à s'invectiver.
Le P'tit Gillet : Chû ta morv', tu m' dégout'.
L'Alphonse : C' nèm' du la morv', c'est du lard.4
En fait, ce n'était pas de la morve, mais bien du lard avec lequel l'Alphonse s'enduisait le dessous du nez pour soigner un mal blanc.  Ajoutons pour être complet que les Allemands n'ont pas mis leurs menaces à exécution et qu'ils libérèrent tous les otages; le P'tit Gillet et l'Alphonse du Vieux purent donc continuer à se traiter de tous les noms d'oiseaux.

1. En voulez-vous ?
2. Foutons le camp, sinon, il va nous jeter le pot de chambre à la figure.
3. Il n'a jamais vécu que d'héritages.
4. Essuie ta morve, tu me dégoûtes. - Ce n'est pas de la morve, c'est du lard.

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