Veillée funèbre

La coutume voulant qu'un mort ne puisse rester seul et doive avant son enterrement, être veillé, quelques jeunes gens du village, dont faisait partie notre père, décident - ou sont chargés par leurs parents - de cette veillée funèbre.  Bien entendu, pour passer agréablement la nuit, ils prennent avec eux un jeu de cartes pour la traditionnelle partie de couyon et une bouteille de goutte, car les nuits sont fraîches dans les chambres mortuaires.

Au milieu de la nuit, les veilleurs, sans doute pas mal échauffés par quelques petits verres, veulent faire participer le mort à leurs agapes.  Ils le lèvent, le dressent dans un coin de la mortuaire et lui font boire quelques lampées.  Le pauvre défunt n'étant plus en mesure d'apprécier ce Genièvre renvoie aussitôt toute la marchandise sur le parquet.

Nos compères, croyant à un réveil du mort provoqué par l'alcool et un vomissement naturel, prennent peur et s'enfuient à toutes jambes.  Ce n'est qu'au petit matin que les plus hardis ou les plus vite essoûlés, reviennent voir leur camarade ressuscité et le remettent sur sa couche funèbre dans une position requise par son état de défunt. Ceci fait, ils s'éclipsèrent discrètement avant l'arrivée des premiers visiteurs.

Lors d'une autre veillée funèbre, celle de Jules Richard, également vieux célibataire, une anecdote bien dans le style gaumais est à conter.  Jules avait la réputation de ne pas être particulièrement courageux; pour tout dire, il avait un fameux poil dans la main.
Sa famille l'ayant trouvé mort depuis quelques heures déjà, son corps était raidi, si bien qu'il n'a pas été possible de lui fixer les bras dans la position correcte, c'est-à-dire croisés sur la poitrine autour d'un chapelet.
Papa et Albert Mahillon, comme le veut la tradition, décident de rendre la visite qui s'impose.  Albert, ayant toujours la répartie facile, s'assure qu'ils sont seuls dans la chambre mortuaire et a cette réflexion savoureuse, voyant la position insolite des mains du défunt :
W'été ! An dèro qui voro co travayi !1

Ce même Jules Richard a rendu d'énormes services aux potaches que nous étions.  En effet, quand l'instituteur, Mossieu l' Maît, Monsieur Victorin Gérard, nous distribuait, ô combien généreusement, des pénitences, c'est-à-dire des pages d'écritures à faire signer par nos parents, nous accomplissions ces pensum à la fontaine publique, sise à côté de la maison du Jules.  Et c'était ce dernier qui signait les pénitences en lieu et place des parents dont il tentait d'imiter la signature.
Évidemment, Mossieu l' Maît n'était pas toujours dupe et les pauvres potaches se voyaient doubler leur pénitence avec évidemment l'obligation formelle d'y faire apposer la signature paternelle authentique.  D'où, en sus, une fameuse engueulade familiale.

1. Regardez ! On dirait qu'il voudrait encore travailler !

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