Le Gros Louis

Le Gros Louis, vieux garçon sympathique, travaillait comme ouvrier forestier dans la forêt des Croisettes.  Il était assez porté sur la bouteille; pour dire vrai, c'était un fameux laqua1.  Prenant son travail un lundi matin avec une solide gueule de bois, il était sans cesse secoué; de quintes de toux provoquées par un estomac rebelle aux litres de bière ingurgités la veille.  Pour excuser ses dérangements stomacaux et ses éternuements répétés qui lui faisaient avoir la larme à l'œil, il eut cette phrase pleine d'à propos (il faisait chaud en été dans les bois et des insectes de toutes sortes voletaient autour des travailleurs) :
Treuye du mouchettes !2, voulant faire croire à l'entourage qui n'était pas dupe, qu'il avait avalé une mouche.  Pauvres bestioles qui n'en pouvaient mais !  Toutefois, la face était sauve.

Nous étions toujours dans la forêt des Croisettes occupés à dégager aux sapins, c'est-à-dire à couper avec une faucille les herbes folles, les ronces, etc..., qui risquaient d'étouffer les jeunes pousses.  Il avait plu la veille et à peine avait-on effleuré un arbuste que l'on était aspergé des pieds à la tête par l'eau de pluie accumulée sur les branches.  L'eau s'infiltrait par le cou et vous glissait le long du dos, causant une sensation assez désagréable.  Le Gros Louis qui, de surcroît, était affligé d'hémorroïdes assez douloureuses, ce qui n'arrangeait pas les choses, tout en se grattant vigoureusement le bas du dos, s'exclame :
Dja la rouye du queu qui fô chèno !3
Le même, ayant une forte envie d'uriner : Dja eun envie du pichi qu'in afan a brâro ou bien : Dja eun vessie coum in tchèpé boule.4

Voilà la définition du hot-dog qu'un jour il nous donna, alors que nous étions occupés à casser la croûte : C'è fô avu les oreilles du la bourrique du Nickel.5
Le Nickel dont il est question était un voiturier de Jamoigne qui avec sa petite charrette tirée par son bourricot allait livrer le lait à domicile.
Louis a d'ailleurs inventé une spécialité gastronomique : la rôbotte à la merde du fignastran.6
En parlant de fignastran, une anecdote me revient.  L'Alfred Constant de Jamoigne demande à un Bûlot :
Couma c'qu'en dè in fignastran en français ?7
Ce Bûlot ne connaissant évidemment pas la réponse, réfléchit quelques instants et eut cette savoureuse définition qui laissa le Jamougnî tout pantois :
Oh, in Alfred Constant.

1. Un fameux buveur.
2. Saloperie de mouchettes !
3. J'ai la raie du cul qui fait chenal !
4. J'ai une envie de pisser qu'un enfant en pleurerait ! - J'ai une vessie comme un chapeau-boule !
5. C'est fait avec les oreilles de la bourrique du Nickel !
6. La tarte aux pommes à la merde de fignastran !
Fignastran : littéralement, qui fouille les excréments, insecte communément appelé bousier.
7. Comment dit-on un fignastran en français ?

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