Lu Jozeuf du P'tit Jésus

Un vrai Gaumais de chez nous, original, têtu comme une bourrique et pour tout dire in po fârce.1
Un jour, il décide de construire une bokette pour ses poules, ouverture pratiquée au bas de la porte de l'étable en son milieu inférieur pour permettre aux poules d'entrer et de sortir à leur guise sans qu'on doive laisser la porte ouverte, une espèce de chatière, en quelque sorte.
Quand sa femme, la Christine, vient examiner le travail, elle constate que son mari avait pratiqué une ouverture non au milieu de la porte mais à l'extrême gauche de celle-ci.
Mais Joseuf, çè au mwati d' l'huche qui fallo fâre la bokette s'exclame la Christine.
Ah, çè au mwati d' l'huche ! Eh, bin, on la mèttrè toula, Christine.2
Et vexé d'avoir subi une critique de la part de sa femme, lu Joseuf du P'tit Jésus démonte la porte de l'étable, en fabrique une nouvelle et appliquant la remarque de la Christine à la lettre, il pratique son ouverture en plein milieu de la porte, mais à mi-hauteur.
La Christine venue contempler son oeuvre et comprenant qu'il vaut mieux pour elle ne pas trop insister sur l'incongruité de la chose, s'entend dire :
Vé dè au mwati. Dju la min au mwati.3
Pour rendre sa bokette efficace, il fut obligé de construire une petite échelle afin de permettre à ses poules d'accéder à cette ouverture et d'alléye à djoque.

Joseuf était également d'un esprit assez contrariant. Un jour d'automne, toute la famille était aux crombires4.  Vint l'heure de midi, l'angelus avait sonné, le moment était venu de casser la croûte.  Il avait plu abondamment la veille, le terrain était boueux et l'arrachage des crombires se révélait extrêmement salissant.  Aussi, toute la famille, sauf le P'tit Jésus, avant de passer à table, s'alla décrasser les mains dans un ruisseau tout proche.
Quand tout le monde revint près du Joseuf, quel ne fut pas l'ébahissement général de le voir sauter sur les victuailles, piétiner les tartines et renverser la marmite de soupe.
Il n'avait pas admis que, même en plein arrachage des crombires, on perde son temps en gestes inutiles; l'hygiène, même la plus élémentaire, était une délicatesse réservée, selon lui, aux seuls gens de la ville.

Il faisait ce jour là une chaleur torride. Ses proches, allant lui porter à manger aux champs, le trouvent dans une position vraiment insolite; couché sur le dos, les jambes repliées au-dessus de la tête.
Waye ! Qu'est-ce qu'u v'fé là, Joseuf ?
I gnè pon du haye da c'çè, dju m' mèt à l'amp' du mès pîs.5

Après la guerre de 14-18, les jeunes gens du village collectent dans chaque foyer quelque argent, quelque obole, afin de quoi ériger le traditionnel monument aux morts qu'on devait installer sur la place de l'église.  Cette quête a duré des mois.  En effet, les jeunes gens passaient une soirée dans chacune des maisons, surtout là où se trouvaient des jeunes filles.
Un soir d'hiver, nos collecteurs se trouvent chez le Joseuf, père d'une jeune fille. Vers 10 heures, voyant que personne ne se décide à lever la séance, le Joseuf se lève, empoigne sa chaise, la retourne, s'agenouille et déclare d'un ton solennel :
I gnè rin d'assèye important pou tchédji l'heur du s'arraleye.6
Là-dessus, il fait un grand signe de croix et commence d'une voix de stentor :
Au nom du Père et du Fils.
Les jeunes gens ont alors vite compris qu'il était grand temps pour eux d'arrêter leur marivaudage et de rentrer se coucher.

1.Un peu drôle.
2. Mais Joseph, c'est au milieu de la porte qu'il fallait faire la bokette.
- Ah, c'est au milieu, et bien on l'y mettra, Christine.
3. Vous avez dit au milieu.  Je l'ai mise au milieu.
4. Pommes de terre.
5. Voyons, que faites-vous là, Joseph ?
- Il n'y a pas de haie par ici, je me mets à l'ombre de mes pieds.
6. Il n'y a rien d'assez important pour changer l'heure de rentrer.

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