Flôves diverses

Le Joseph Navet et notre père travaillaient tous deux en France, après la guerre de 1914.  Ils avaient presté pas mal d'heures supplémentaires, ceci afin d'avoir assez d'argent pour pouvoir s'acheter des chaussures "molière", selon la nouvelle mode, en honneur en France.
Jusqu'alors, on ne portait que des bottines, même les dimanches.  Revenus à la fête aux Bulles, ils espéraient bien épater tous les Bûlots avec leurs chaussures, nouvelle mode.   Et le dimanche, notre père et le Dédé - surnom du Joseph Navet - arrivent à l'église, chaussés de neuf et escomptant bien un petit effet d'admiration.   Mais, ô surprise, la nouvelle mode les avait déjà précédés et presque tous les jeunes gens du village portaient pour ce dimanche de fête des chaussures "molière". Les heures supplémentaires prestées sur leur chantier français ne leur avaient guère été profitables.

Il nous revient une autre anecdote concernant le Dédé.  Il était très amoureux de la Rosine, la fille du Fili, que nous avons déjà évoquée.  Mais le jour de la Dicasse, elle avait passé la soirée - en tout bien tout honneur - avec un autre garçon.  Souvent femme varie !  Et en plus de cela, avec un étranger, un gars de Rossignol !
Le Dédé, complètement désespéré, décide sur le champ d'aller se noyer.  Il fait part de son intention à ses copains.  Aussi, ceux-ci l'accompagnèrent-ils au p'tit Pont, près de la Semois, afin de lui tenir compagnie dans l'accomplissement de ce dernier geste fatal.  Évidemment, arrivé aux bords de la Semois, notre désespéré changea très vite d'avis et est allé continuer la fête avec ses compagnons.  Disons tout de suite que les choses se sont bien arrangées par la suite et le Dédé a épousé Rosine dont il eut deux garçons.

L'Arsène fréquentait avec l'Angèle, mais il a été contraint de la quitter pour accomplir son service militaire.  Quand, démobilisé, il rentre au pays, il n a pu que constater :
Quand j'étais au service du Roi, le grand Bastin m'a pris mon Angèle.

Le Gédéon Mahillon, père franciscain, directeur du collège de Marche-en-Famenne, était un joyeux luron dans sa jeunesse bûlotte.  Il avait un grand copain, le Babet.
Un matin d'hiver, se rendant à l'école, il constate qu'il a gelé très fort et que des stalactites de glace se sont formées le long de la barrière métallique qui bordait le ruisseau de Sandré, à la traversée du village, près du marchau1, ruisseau non encore recouvert à cette époque.  Gédéon, toujours à l'affût d'une bonne blague, conseille au Babet de lécher ces glaçons; c'est excellent pour la santé, lui assure-t-il.  Le Babet, tout confiant, s'exécute, mais sa langue prise par le gel reste collée à la barrière.  Il a fallu faire appel à un voisin qui, avec de l'eau chaude et en prenant mille précautions, a réussi à décoller la langue sans l'écorcher.

Alex Gillet, fils du Fili, est pressé de rentrer chez lui.  À un ami qui voulait l'entraîner vers d'autres escapades, il répond qu'il doit encore traire les vaches et que s'il est en retard, il se fera enguirlander par sa mère.  Ce qui, version Alex, la ponctuation étant délibérément ignorée, donnait :  Djum' va r'trâr m'man et tout çà !2

Certains Bûlots voulaient parler français, mais n'y arrivaient qu'après beaucoup de difficultés grammaticales, mélangeant leur patois à la langue de Voltaire.  On disait qu'ils parlaient le français de Wouir, nom en gaumais de ce petit village de la petite France, situé à la frontière, près de Florenville, Willières, où le jargon parlé par les indigènes est sensiblement le même qu'à Les Bulles, mais quelque peu fransquillonnant.  L'anecdote suivante illustre ce phénomène.  L'Olga Lavaux vantait à un client de passage, à un étranger, un article de la quincaillerie paternelle, plus précisément, un pot de chambre.  Olga , se piquant de bien parler le français, tenait le boniment suivant :
Il est moû solid', allez Môssieu, vous pouvez le frager au mur !, et, argument final pour convaincre le chaland :
Et puis, on est moû bien l'cul dessus.3

Quel est ce Bûlot, jeune marié, qui commentant sa nuit de noces, et pour illustrer son impatience et sa hâte d'en finir avec les mondanités, disait :
In plat d'Brie, et hop' su' l' lit
Dans le même ordre d'idées, voici la déclaration d'amour d'un Gaumais :
Si tu m'ém' coum' dju t'ém', flachan-nous touçi.4

Voici une phrase idiomatique gaumaise parodiant le patois arlonais tout proche (francique mosellan) :
In' fâm tchô tchîr padri eun' haye, ni djoké su in piké !
ou bien :
Hatch' ta gaye du ma haye, qu'u dji mettich' mu bouc.5

Notre patois gaumais, pittoresque et truculent à souhait, pourrait même paraître quelque peu grossier à certains esprits délicats.  Ainsi, cette menace que proféra le Baptiste Houlmont à un de ses enfants, effrayé par un violent orage et qui pleurait à pierre fendre.
Si tu'n clôm' ta gueuye, lu touner' tu teumrè s' la heur' et t' fadrè la kassett' !

Voici un autre exemple de nuance plus ou moins raffinée de notre patois. Les deux frères Sampaix passent à travers champs et rencontrent un couple de cultivateurs occupés à casser la croûte du matin, c'est-à-dire vers les 9-10 heures.  Le premier, Jacques, marchant d'un pas décidé, précédant son frère, dit en pinçant son français (il avait séjourné à Paris) :
Voilà qu'on prend son p'tit déjeuner !
Le second, Lucien, vrai Gaumais des Bulles, les salue de la façon traditionnelle et émet ce commentaire rabelaisien :
V'là qu'an blajeun' !

La Louisa, notre voisine, se rendait à vélo à la forêt toute proche, en ce mois de juillet, pour aller à la cueillette des myrtilles.  Il avait plu la veille et le soleil se reflétait dans les flaques d'eau qui stagnaient dans les profondes ornières des chemins forestiers.  Commentaire de la Louisa :
An' zè ablawè pa les royas !"

Le Donné, à la rentrée des classes, après les vacances de Noël, se rend à l'école, avec comme cadeau de Nouvel An pour Mossieu l' Mait' une belle gaufre, confectionnée par sa mère, pour la circonstance.  Chemin faisant, la tentation est trop forte, il en mange un carré.  Craignant que l'instituteur s'en aperçoive, il mange tout le tour de la gaufre, si bien que Mossieu' l' Mait' reçut comme cadeau une gaufre qui avait sensiblement rétrécie durant le trajet du tchû haut à l'école.

A Suxy, petit village ardennais, de l'autre côté de la forêt, où paraît-il, les filles van à vich jadis, une maison brûlait chaque samedi.  En effet, Suxy, village assez pauvre, comportait beaucoup de toits de chaume, alors qu'à Les Bulles, on ne rencontrait pratiquement que des toitures en ardoises.  Ces toits de chaume étaient particulièrement inflammables.  Et tous les samedis, les Chuchôts cuisaient leurs pains, d'où risque d'incendie, ce qui faisait dire ironiquement, que chaque samedi, à Suxy, une maison brûlait.

Deux bûcherons, Alphonse Evrard et son frère, le Flô, ont travaillé dans la forêt tout l'hiver.  Ils racontent leur campagne dès leur retour au village.  Ils ont abattu un arbre dont le tronc était si large qu'ils y ont consacré des semaines (sic) en attaquant l'arbre à la scie chacun de son côté.
Et le Flô de surenchérir :
An n' sèm'veu d' l'hivèr !

À Les Bulles, deux familles voisines sont en dispute depuis des années pour des raisons obscures qui remontent sûrement aux générations précédentes et que tout le monde a oubliées.  Il s'agit du Joseph Donné et du Gilles Goffinet.  Les jeunes gens du village, toujours à l'affût d'un bon tour à jouer, décident de profiter de cette guérilla ancestrale pour se distraire un peu.
Comme dans beaucoup de fermes, il y avait devant chacune des deux maisons, une meule de foin, chacune parfaitement façonnée, de telle manière qu'elle se protège elle-même des intempéries.  Par une belle nuit d'été, les jeunes Bûlots, des deux meules en font une seule, tout aussi parfaite que les deux précédentes et ils la dressent à la limite exacte des deux territoires ennemis.  Imaginez les discussions et les palabres du lendemain quand il a fallu départager cette unique meule en deux moitiés rigoureusement identiques aux deux meules précédentes !

Le Jules Déom, voyant passer un paysan, son râteau sur l'épaule, eut cette réflexion :
Eh, bin, Joseuf, on va cô fâr du la poussièr ?
Le père Gigi était occupé à faucher son pré.  À la main, bien entendu.  Passe un étranger qui s'arrête, l'observe un instant et lui donne ce conseil :
Si avec votre faux, vous preniez un peu plus à gauche, puis un peu plus à droite, vous auriez plus vite terminé l'ouvrage.
Et si dju mètô in r'té da l' trô du m' queu, dju ratel'ro en mém'ta !, lui répondit le fermier.

Joseph Trodoux se rend chez une vieille femme de Prouvy.  Celle-ci est occupée à souper et lui offre de partager son repas :
Tu n'vum soupeye avu mè ?
Le Joseph décline poliment l'invitation et la vieille continue dès lors son repas, mais s'étonne du silence soudain du Joseph, lui qui n'est pas particulièrement taiseux.
Tu n'dis rin, Djoseuf  , lui demande-t-elle.
Dju n'a dè qu'eun seul' parole, et çè cô d'té eun' du trop !"

Au moment des Pâques, un Bûlot était à confesse.  Ayant terminé sa confession, il reçoit l'absolution; il devait donc sortir du confessionnal et aller se recueillir sur sa chaise, pour y réciter les quelques ave que le prêtre lui a probablement infligés comme pénitence.
L'officiant passe alors au suivant et se tourne de l'autre côté du confessionnal.  En ayant fini avec son second pénitent, il se retourne vers le premier côté pour écouter un troisième fidèle.  Mais, ô surprise, c'est toujours le premier pénitent qui est là.  Le curé s'imagine alors que celui-ci a quelque chose de grave ou de très important à ajouter à sa confession.  Mais notre Bûlot, réveillé par le bruit du guichet que le prêtre vient d'ouvrir, s'exclame tout confus :
Oh ! Dju m'avô aniquè.

Le Baptiste fait part à son voisin de son désir de s'expatrier pour faire fortune, plus précisément au Canada.  Celui-ci lui déconseille fortement une aventure aussi audacieuse et, pour bien le persuader de renoncer à ce projet téméraire, il lui assène cette prophétie :
Tu r'vérè da la panse d'in boa.

L'Alfred Pierret avait été prisonnier pendant cinq ans en Allemagne et prétendait parler couramment la langue de Goethe.  Comme il avait passé sa captivité dans une ferme teutonne, quelqu'un lui demande :
D'jé, Alfred, couma c'qu'an dè eun tchérue en allemand ?
Il réfléchit quelques instants et répondit :
Oh ! À pô prè coum' par çé.

Ernestine Sampaix se présente à la boucherie du Joseph Mahillon et demande :
Dju vorô bin du boudin.
Combin qui vâ fô ?, lui demande le boucher.
Après une courte réflexion, elle répond :
Mettè m'a deux mèt'.

Auguste Navet était tailleur et les jeunes gens du village avaient l'habitude d'aller à la soirée chez lui, l'écouter parler, tout en le regardant travailler, car il était expert en récits et diverses flôves.  Toutefois, il avait la réputation de ne pas beaucoup chauffer sa maison et comme on était en hiver, l'assistance était bien souvent frigorifiée chez cet artisan.  Au milieu de la soirée, alors que la température ambiante était particulièrement basse, quelqu'un de l'assemblée s'écrie :
Auguss', rumet' eun bobine.
Façon détournée de lui signaler que le feu se mourait.

Les Bûlots étaient assez belliqueux, sans doute pas autant que leurs voisins, les Pinô (du village voisin de Pin), mais toujours est-il que, régulièrement, le dimanche, un Bûlot quittait la messe dominicale avant l'Ite Missa Est et rentrait chez lui pour changer de hisse.  Il endossait ses vêtements de semaine à la place de son sarrau du dimanche et cela tout simplement parce qu'il savait qu'il allait se battre à la sortie de la messe.  Ainsi, il revenait sur la place de l'église et attendait son éventuel adversaire, en tenue de combat.  Il pouvait alors, sans crainte, aborder une quelconque discussion risquant immanquablement de dégénérer en pugilat, pouvant l'amener à se treûtir' da la leur'r.

Le Trodoux, pour se rendre chaque jour à l'école longeait une ferme où paissaient des oies.  Soit que le garnement les taquinait volontiers, soit que ces volatiles étaient particulièrement agressifs, toujours est-il que lorsque ces oies quittaient leur enclos et vagabondaient devant la ferme, il en avait une peur bleue, surtout du jars, spécialement menaçant.  Un jour, il rentre à la maison, à toutes jambes, l'air véritablement affolé, criant du plus loin qu'il peut à sa mère, accourue sur le pas de sa porte :
Dépétchév', dja tchî da ma culotte, è v'là cô les oyes !
Ce qui s'appelle tomber de Charybde en Scylla !

L'église du village avait été détruite durant la guerre de 14-18, ainsi que de nombreuses maisons.  Dès lors, l'horloge du clocher et les sonneries de l'Angélus ne pouvaient plus annoncer l'heure exacte aux Bûlots, si bien que le curé envoyait tous les samedis ses enfants de choeur faire le tour du village avec sa propre montre qu'il avait, au préalable, minutieusement réglée.  Ceci permettait à nos parents de remettre leur pendule à l'heure.  Sans doute que notre brave curé tenait à ce que ses ouailles arrivent à l'heure à la messe du lendemain.  Les enfants de choeur arrivent chez l'Alphonse Houlmont et n'y trouvent que sa femme, la Marie.
Marie, il è chij'heur' moins l'quart"
Marqué l' su' l' coin du dijan, dju l' dèrâ à not' Alphonse quand i r'vérè.

En parlant de messe, une autre anecdote est à conter.  Pendant le sermon de la grand-messe dominicale, l'Alphonse Jacob parlait ostensiblement avec son voisin, ne prêtant manifestement aucune attention au prêche.  Du haut de sa chaire, le curé lui montre le doigt pour lui intimer le silence.  Mais l'Alphonse n'est guère impressionné et murmure à son voisin :
Cè djus' ossi bon qu'il montrich' à m' queu.

Mais la vie n'était pas toujours rose au temps de nos grands-pères.  Le fameux bon vieux temps n'était bien souvent qu'une vue de l'esprit.  Ainsi, le Baptiste disait fréquemment :
Si dju n'avom' eu m'gayllti pou neurè mè afâns, i n'srin pu touçè.
Il avait un énorme poirier derrière sa maison, poirier très prolifique, qui donnait des gayes en quantité, poires délicieuses que l'on faisait sécher et que l'on mangeait à la veillée, dans les soirées d'hiver, au coin du feu.

Comme le raconte si bien Fernand Bonneau, les batailles étaient fréquentes entre Les Bulles et Jamoigne, surtout quand on pateur tavau.  Les Jamougni avaient le dessus par leur position géographique avantageuse, dominant leurs voisins du haut de la côte du p'tit pont.  Pourtant, un jour, lors d'une avancée des Jamougni sur le ban de Les Bulles, les Bûlots réussirent à prendre un otage avant de finir par repousser leurs adversaires sur leurs hauteurs.  Ils enfermèrent le pauvre Jamougni dans une maison en construction.
Le soir arrivé, les enfants rentrèrent chacun chez soi et oublièrent complètement leur prisonnier dans son cachot improvisé.  Les parents, très inquiets, passèrent toute la nuit en vaines recherches et ce n'est qu'au petit matin qu'ils le retrouvèrent endormi dans un coin de la bâtisse.  Inutile de vous décrire la réception que reçurent alors nos garnements de Bûlots, auteurs de ce rapt !

Le Lysée passe en vélo devant deux enfants, dont Jean-Claude.  Son pneu vient à crever, ce qui produit un bruit assez caractéristique et provoque en même temps l'hilarité des deux petits spectateurs.  Voyant les deux gosses rire de sa mésaventure, le Lysée déclare :
Cu n'èm' mè qu'è pèté, çé m' vélo.

La Clara Briel vendait le pain de la boulangerie paternelle et chaque jour, elle passait dans chaque maison du village livrer sa marchandise.  Elle se présente donc chez le curé Harmel pour lui apporter son pain quotidien. Le curé était occupé à manger des céleris.  Clara, jeune fille espiègle et qui n'avait pas la langue en poche, lui dit :
Attention, Monsieur le Curé, les céleris çà rend amoureux.
Mais cette remarque culinaire ne fut pas appréciée par le curé Harmel, lequel avait la réputation d'être distant et voulait tenir son rang.  Aussi, il rétorque, courroucé, à la jeune boulangère :
Clara, à partir de demain, il ne faudra plus passer avec votre pain.

Jean, dit le Valentin et son voisin, le Léon Albert décident par un beau dimanche d'été de faire une ballade à vélo.  Il fait très chaud et les deux cyclistes transpirent abondamment durant cette randonnée.  Jean "Valentin", tout le long du chemin, afin d'encourager son compagnon qui n'était guère riche, contrairement à Jean, répète constamment :
Dju pay'ra in verre pû lon.
La ballade se termine sans que le verre tant de fois promis ne fut offert, car le Jean était un tant soit peu radin, et les deux cyclistes vont boire un grand verre d'eau, chacun chez soi.  Le Léon a compris la leçon et n'accompagna plus jamais le Jean Valentin dans ses ballades vélocipédiques.

La mère Rézette, sans doute très pressée ce jour là, sort de chez elle pour se rendre à l'épicerie d'en face, "Aux Variétés".  Mais, dans sa précipitation, elle s'était, pour la circonstance, chaussée d'une façon plutôt originale.  Jugez-en : au pied droit, un soulier de football de son fils Marcel et au pied gauche une pantoufle en poils de chameau.

La mère Boucher, septuagénaire, vivant chez son fils, allait à la messe un dimanche matin.  Soudain, elle s'arrête pile et écarte les jambes.  La longueur de sa robe empêche les passants de voir ce qui se passe.  Mais elle repart, laissant sur la route une flaque trahissant avec évidence ce qu'elle venait innocemment de faire en position debout.  Les sous-vêtements qu'elle avait conservés de son époque révolue lui permettaient, grâce à une ouverture spéciale, de satisfaire, sans aucun problème, ce petit besoin naturel.

Adolphe Rogier se présente à l'embauche à Blagny, en France, aux forges de la Chiers.  Le chef du personnel lui dit :
On n'a pas beaucoup de travail pour le moment.
Et Adolphe de répondre :
-Oh, il ne m'en faut guère, eh, Monsieur.
Et bien, dans ces conditions, Monsieur, vous êtes embauché.
Et Adolphe est resté à Blagny jusqu'à sa retraite.

Le tram à vapeur dont nous avons déjà parlé, reliant Marbehan à Florenville, s'arrêtait devant chez le Baptiste Herbeuval qui avait pour mission de réceptionner les colis.  Il tenait beaucoup à cette fonction, car il était cabaretier et ce service, soi-disant bénévole, lui amenait des clients supplémentaires.  Un jour, pour le taquiner, le conducteur du tram décide de passer outre l'arrêt traditionnel et fait halte quelques maisons plus loin.  Commentaire scandalisé du Baptiste :
Cn'èm' la pône d'êt' chef du gare, si an n'èm' respecteye du ses subalternes.

Simone, la femme du Roger, lesquels habitaient en face de chez nous, était assise sur le seuil de sa porte, à même la marche.  Son mari, assis quant à lui, sur notre banc, donc de l'autre côté de la route, pouvait admirer, vu sa position, une partie de l'anatomie de sa femme qu'il n'est pas toujours décent de montrer.  Simone se rend compte du spectacle qu'elle offre à ses voisins d'en face et pour taquiner son mari, dit à son entourage :
Tu va l' war, et elle s'expose encore un peu plus à la vue du public. Aussitôt, son mari lui crie, de l'autre côté de la route :
Simone, catch' tu qu'eu.

Notre autre voisine, Edmonde, demande à Simone :
Qu'est-ce qu'u tè fâ pou soupé ?
Du chou-fleur., répond celle-ci.
Mais cette réponse ne satisfait pas entièrement la curiosité d'Edmonde qui veut connaître plus de détails sur la préparation de son repas.
Du chou-fleur à quoi ?, interroge-t-elle.
Et Simone, excédée, de répondre :
Du chou-fleur à la merde."

Oncle Gilbert demande au père Maury de Jamoigne :
Quel âtch' qu'u v'avez, Père Maury ?"
Septante-cinq ans.

Quand va naré cô ostan, vu s'rez djè vî !32, déclare alors philosophiquement le Gilbert.

Le Patar, originaire d'Habaru, en Ardenne, près de Neufchâteau, et résidant à Les Bulles, est employé comme ébéniste chez le Maury de Jamoigne, le fils du Père Maury dont nous venons de parler.  Faisant quelques travaux chez la Renelle à Izel, il avait besoin d'une coupe, une pelle pour charger des débris sur sa camionnette et qui se dit dans son patois ardennais schwap.
Il demande à la Renelle, dans son patois ardennais qui peut être parfois fort différent du nôtre :
V'né ni eun schwap ?
Non, dju n'a qu'u d'la Diekirch33, répond celle-ci, s'imaginant que le Patar voulait un verre de bière de la marqueSchwap.

Un dimanche matin, alors que les premiers sons de cloche annonçant la messe avaient déjà retenti, notre père était encore occupé à la délicate opération de la toilette du dimanche, spécialement la confection correcte du noud de cravate.  Tout à coup, la porte s'ouvre brusquement et Louisa, notre voisine, toute échaurée crie à notre père, alors qu'il n'y avait pas encore péril en la demeure, les premiers coups de cloche ayant lieu un quart d'heure avant le début de l'office :
Cyrille, v'nétèm' cô prêt' ?  I gnè eun grand' band' d'houm' qu'è djè vouye35
En fait, cette grande bande était constituée de deux voisins, l'Arsène et le Bastin.  Quand on vous disait que la Gaume était appelée la petite Provence de la Belgique, ce n'était pas uniquement au climat que nous pensions !

Maria Martin, Bûlotte bon teint, ayant épousé un Florentin, vivait dès lors à Florenville.  Durant la guerre de 1940-1945, alors que les temps étaient durs et le ravitaillement des plus aléatoires, la saison des "cochonnailles" étant arrivée, on tue le cochon.  Cochon que le Florentin avait acheté en commun avec un cousin, nommé Blaise.
Une fois le cochon tué, découpé et transformé en viande, un dilemme se pose.  Va-t-on le garder pour soi et être dans ce cas assuré d'une certaine réserve de viande, ou va-t-on le vendre contre monnaie sonnante et trébuchante et réaliser ainsi une fructueuse opération financière ?  Tout le monde et surtout la Maria opte pour la première solution, mais le Florentin, assez près de ses sous, veut transformer ce cochon en bons écus.  Il parvient à rallier ses partenaires à ses vues et le cochon est vendu.  Une substantielle rentrée d'argent s'ensuit, mais évidemment, point de réserve de jambon, boudin, lard et autres bonnes choses !
Le Florentin travaillait aux Chemins de Fer, sur la voie, exerçant un métier qui lui ouvrait largement l'appétit et lui donnait grande faim.  Quelques temps après qu'on eût tué l' pouché36, il déballe sa tartine de midi, la trouve fort mince, l'ouvre et trouve à l'intérieur, à la place du bouquet d'tchâ37 auquel il s'attendait, un billet de cinquante francs.  Le Florentin préférait l'argent à la cochonnaille.  Et, bien, qu'il s'en repaisse de son vil argent !

1. Maréchal-ferrant
2. Je m'en vais traire maman et tout ça.
3. Il est tellement solide, Monsieur, vous pouvez le jeter au mur.
- Et puis, on est tellement bien le cul dessus.
4. Un plat de Brie et hop ! sur le lit.
- Si tu m'aimes comme je t'aime, couchons-nous ici.
5. Il ne fait pas chaud chier derrière une haie ni perché sur un piquet.
- Enlève ta chèvre de ma haie, que j'y mette mon bouc.
6. Si tu ne fermes pas ta gueule, le tonnerre te tombera sur la tête et te fendra le crâne.
7. Voilà qu'on se bâfre.
8. On est ébloui par les ornières.
9. Le quartier du haut du village.
10. Les filles vont à vis; c à d sont comme des girouettes.
11. On ne s'est pas vu de l'hiver.
12. Et bien, Joseph, on va encore faire de la poussière.
13. Et si je mettais un râteau dans le trou de mon cul, je ratisserais en même temps.
14. Tu ne veux pas dîner avec moi ?
- Tu ne dis rien, Joseph ? - Je n'ai dit qu'une parole et cela a encore été une de trop.
15. Oh ! Je m'étais endormi.
16. Tu reviendras dans la panse d'un boa.
17. Dites, Alfred, comment dit-on une charrue en allemand ?
- Oh, à peu près comme par ici.
18. Je voudrais bien du boudin.
- Combien vous en faut-il ? - Mettez m'en deux mètres.
19. Auguste, remets une bobine.
20. Vêtement.
21. Se rouler dans le purin.
22. Dépêchez-vous, j'ai chié dans ma culotte et voilà encore les oies.
23. Marie, il est six heures moins le quart.
- Marquez-le coin de la table, je le dirai à notre Alphonse quand il reviendra.
24. C'est juste aussi bon qu'il le montre à mon cul.
25. Si je n'avais pas eu mon poirier pour nourrir mes enfants, ils ne seraient plus ici.
26. On patûre partout.
27. Ce n'est pas moi qui ai pété, c'est mon vélo.
28. Je payerai un verre plus loin.
29. Ce n'est pas la peine d'être chef de gare, si on n'est pas respecté de ses subalternes.
30. Tu vas le voir.
- Simone, cache ton cul.
31. Qu'est-ce que tu as fait pour dîner ?
32. Quel âge avez-vous, Père Maury ?
- Quand vous en aurez encore autant, vous serez déjà vieux.
33. Vous n'avez pas une pelle ? - Non, je n'ai que de la Diekirch.
34. Excitée.
35. Cyrille, vous n'êtes pas encore prêt ? - Il y aune grande bande d'hommes qui est déjà partie.
36. Le cochon.
37. Morceau de viande.

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