Le Quartier de la Culée

Dans le quartier de la Culée, vivait le père Jacquet, Bûlot ayant exercé pas mal de métiers.  Il fut un temps où il fabriquait et vendait des sabots, mais compte tenu de la conjoncture, il était obligé de vendre ses sabots, pour pouvoir les écouler, à un prix inférieur à leur prix de revient.  Toutefois, disait-il, malgré la perte unitaire à chaque paire, il en vendait tellement qu'en fin de compte, il réalisait de plantureux bénéfices !  Curieuse conception des lois du marché !

Ce même Père Jacquet avait une automobile au bord de la vétusté et qui dégageait une de ces fumées qu'on n'autoriserait plus de nos jours. Plein d'admiration pour son engin polluant, il disait à qui voulait l'entendre :
Ça bouff', mais çà tère !1

Son fils Edmond, lequel était loin d'être un bourreau du travail, souffrait d'une hernie. Albert Mahillon, toujours aussi ironique, confia alors à Papa :
L'Edmond è attrapeye eun' hernie a roulant eun' cigarette.2

La tendance à l'exagération de nos concitoyens peut être illustrée par les anecdotes suivantes qui eurent pour héros le Père Cadet, également du quartier de la Culée.  Étant monté à Liège, il avait entrepris de peindre tous les volets d'une immense propriété, plus de cent volets à lattes à claire-voie.  Au bout de quelques jours de travail, il se rend compte du temps considérable qu'il va lui falloir pour mener à bien son entreprise.  Toutefois, il trouva, disait-il, une solution très ingénieuse pour en finir rapidement.
En deux djô, djavô finè l'ouvratch'.
Incrédulité de son interlocuteur.
Djavô in bassin plé d'couleur.  Dju n'avô qu'à dèpad' les volets et les trappeye da l' bassin.  Peu, dju les fô cheur eun djourneye et dj' lè racrotchô lu lend'mé.3
C'est ainsi qu'il a inventé la peinture au trempé, méthode reprise depuis lors par les constructeurs d'automobiles.

Ses exploits de pêcheur alliés à ses talents cynégétiques sont également pour lui l'occasion de certaines galéjades.
Djètô à la pêche à Manvierre, dju fâre in brotchè élà (et ses mains de s'écarter d'au  moins un mètre), et al sortant du l'yo, dju teum' lu qu'eu par tèrr', assis su in lieuv' qui passô djustuma toulà !4

Il braconnait les grenouilles dans les étangs près du Moulin, plus communément appelés les landes.  Cette nuit-là, il avait gelé subitement et toutes les grenouilles dans les landes où le Père Cadet était aux aguets, avaient été prises brutalement par le gel.
Djâ' té quér' ma faux, et d'in seul cô, djâ na fôtchi d'pu d'eun centén' !5

La Marie-Djacq' Gillet, habitant également le quartier de la Culée, promenait son fils Yvan, petit bébé, dans son landau.  Une voisine admire, comme il se doit le bambin et lui trouve des bonnes couleurs.  Du coup, la Marie-Djacq' s'exclame :
Il è des couleurs ? Il è sûrmâ d'la fièv'; djum' va quér' lu Dion.6

Un jour, le petit Yvan lâche un pet bien naturel.  Sa mère se précipite sur le téléphone le plus proche pour alerter le docteur Dion :
Docteur, not' Yvan pète coum' in houm' !7

1. Ça bouffe, mais ça tire.
2. L'Edmond a attrapé une hernie, en roulant une cigarette.
3. En deux jours, j'avais terminé l'ouvrage.  J'avais un bassin plein de peinture.   Je n'avais qu'à dépendre les volets et les tremper dans le bassin.   Ensuite, je les faisais sécher une journée et les raccrochais le lendemain.
4. J'étais à la pêche à Manvierre, je ferre un brochet comme ça, et en le sortant de l'eau, je tombe le cul par terre assis sur un lièvre qui passait justement par là.
5. J'ai été chercher ma faux et d'un seul coup, j'en ai fauché plus d'une centaine.
6. Il a des couleurs ?  Il a sûrement de la fièvre.  Je vais chercher le Dr Dion.
7. Docteur, notre Yvan pète comme un homme.

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